Chronique : Le Chant des Ronces, Leigh Bardugo





LE CHANT DES RONCES, Contes de Minuit et autres magies sanglantes
Autrice : Leigh Bardugo
Age : 14 et +
Editeur : MILAN

352 pages

Note : ★★★☆





Si l'amour s'exprime avec des fleurs, la Vérité exige des épines.

Six contes où règnent passion, trahison et vengeance.


Bonjour à tous, et bienvenu sur le nouveau format de chroniques du blog ! Inspiré de l'ancien, avec quelques remaniements, et surtout une grande hâte de partager de nouveau avec vous mes envies, lectures, et passions d'un instant.

Trève de bavardages, passons donc à l'analyse du recueil de contes proposé par l'écrivaine américaine Leigh Bardugo. Pour le contexte, Leigh Bardugo est une autrice à succès dans l'univers de la fantasy, créatrice de l'univers des Grisha (le Grishaverse). Cet univers regroupe à ce jour la trilogie Grisha, la duologie Six of Crows (dont vous trouverez la chronique ici, réalisée en 2016), ainsi que le recueil de contes le Chant des Ronces, dont nous allons parler aujourd'hui.


D'après mes souvenirs lointains, j'avais beaucoup apprécié le premier tome de la série Six of Crows, alors en lice pour le Prix Chimère 2017. Il contenait une bonne dose d'intrigues, des personnages de malfrats hauts en couleur, ainsi qu'une écriture fluide, intense, et investie, malgré son caractère un peu emprunté

L'ambiance reflétait les audaces des romans de piraterie, le caractère young-adult des relations entre les personnages, un brin de mystère à polars. Un plutôt bon bilan, pour un ouvrage de fantasy jeunesse, auquel mon passé adolescent avait réussi à s'accrocher.

>> Passons à présent aux contes proposés par Leigh Bardugo : au nombre de six, ils tournent peu ou prou autour de thématiques similaires, voir contemporaines. La trahison, le courage, quelques réflexions politiques disséminées, le viol et l'inceste, l'homosexualité. Des thématiques actuelles, qui concordent avec notre propre monde, mais qui semblent également susciter des questionnements auprès de l'autrice, qui nous fait délicatement part de ses doutes, appréhensions, de ses douleurs.

De prime abord, je ne suis pas forcément enthousiasmée par ces caractères un brin fatalistes et autocentrés, ces personnages laids qui finissent par gagner la reconnaissance par le courage ou la loyauté, qui s'apitoient régulièrement sur eux-même ou leur sort, une forme de méritocratie légèrement biaisée - bien que cela ne soit pas sans rappeler les personnages des romans d'apprentissage. Heureusement, l'ouvrage possède la couverture du recueil de contes ; et ces personnages se moulent parfaitement dans les pas de leurs prédécesseurs (Grimm, Perrault, pour ne citer qu'eux). Nous laisserons donc à l'autrice le bénéfice du doute.

Cependant, leurs caractères bien trempés, qui les discernent des personnages secondaires (vicieux, mollassons, apathiques), finissent par leur donner raison dans les quêtes différentes qui les font grandir, en tant que futurs adultes. 

J'ai choisi ici de placer les contes non par ordre de publication, mais selon mon ordre de préférence : chaque chronique comportera en gras l'explication détaillée de mes critères d'appréciation. N'hésitez pas à me dire en commentaire quels ont été vos contes favoris !

  • La Sorcière de Duva est le troisième conte proposé par Leigh Bardugo, et sensiblement mon préféré. Non sans rappeler le culte Hansel et Gretel, avec la figure de la sorcière inquiétante au coeur de la forêt, elle joue énormément sur le rôle des différentes figures familiales, et propose une véritable interprétation concernant le physique et la personnalité. Tout au long de la nouvelle, on se joue de nos perceptions en faisant passer chaque personnage, à travers sa physionomie, pour ce qu'il n'est pas ; et se joue ainsi des "codes" attribués au personnages depuis l'essor du naturalisme. Sans prévenir, le père affable et souffrant se transforme en violeur incestueux et sanglant, tandis que la belle-mère "marâtre" et sèche se révèle être la sauveuse discrète, manœuvrant dans l'ombre. J'ai trouvé la fin extrêmement touchante, celle d'un père qui a conscience de faire le mal, et de sa part d'ombre, et ne peux malgré tout s'empêcher d'y succomber. On assiste ici au véritable dilemme concernant les dérèglements mentaux et sociaux des assassins/violeurs, ainsi que les divergences d'opinion les concernant. L'homme est victime de ses pulsions tout autant que victime de lui-même, et du jugement des autres ; malgré son statut de victime, il est également auteur d'atrocités, et de meurtres, qui ne peuvent rester impunis et font de lui un monstre.

  • Petite lame est le quatrième conte. Court et plutôt formel, il est le récit de jeunes hommes dont le cerveau est annihilé par la beauté de leur objet de désir, une fille de duc enfermée dans une tour. On se bat pour l'avoir, et l'un d'entre eux, sorcier de l'eau, parvient à amadouer la rivière afin de gagner les épreuves ; cependant, la rivière libérée décide de s'unir elle-même à la femme, lui laissant l'autonomie d'une vie seule et tranquille, la couvrant de l'attention et de l'amour dont elle a besoin sans jamais l'étouffer la laissant évoluer à son aise. Une jolie et tendre leçon sur la vie de couple, l'indépendance, et l'amour que l'eau témoigne à la jeune femme à travers ce don de tranquillité, célébrant son pouvoir de femme.

  • Le second conte - Le Renard trop rusé - nous offre une réflexion sur la vanité et la sagesse, conduite par deux animaux et des chasseurs. Afin d'éviter les spoilers, je ne décrirais pas ici les revirements de situations (d'ailleurs plutôt surprenants, et appréciables !). L'autrice retrace l'histoire d'un malin renard, qui se croyant plus rusé que les autres, finit par tomber dans le piège des chasseurs, dont la vie est finalement sauvée de peu par une rossignole sage. Une courte histoire à propos de l'orgueil, une morale sympathique et bien menée, rappelant l'esthétique et la construction des fables de la Fontaine. Agréable à découvrir, une nouvelle qui rappelle de ne pas perdre de vue l'importance de l'humilité. 

  • Quand l'eau chantait le feu clôt le recueil. Un des texte les plus longs du recueil, il est également celui qui a visiblement nécessité beaucoup d'attention à l'écriture. Etant plus dense et complet que les autres, et terminant le recueil, il occupe une place de choix qui retient l'attention du lecteur. Il y est question de trahison, de loyauté, mais également d'amitié, d'amour, et de mauvais choix. Pour faire bref, le personnage principal, sorte de sirène, devient humaine le temps d'un instant, et se doit de choisir entre sa vie d'humaine et sa vie de sirène, faisant face aux demandes du prince de la mer son ami, pour sauver la vie de sa meilleure amie. Au dernier instant, les deux la trahissent, et c'est le coeur brisé qu'elle accomplit le dernier rituel qui fera d'elle une sorcière-sirène meurtrière, non sans rapeller la figure d'Ursula dans la Petite Sirène (d'ailleurs, le prénom du personnage étant Ulla...). Un personnage trahi, tumultueux et élevé dans la souffrance, dont le destin est sanglant du début à la fin. Elle évoque chez le lecteur ses propres ressentis face aux épreuves de la vie, et peut y toucher sa sensibilité.

  • Dans le premier conte, Ayama et le Bois aux Epines, le personnage féminin est une sorte de Cendrillon destinée à la honte aux yeux de ses parents. Ni jolie ni particulièrement douée, elle finit par disparaître aux yeux de ses proches dans les tâches ménagères. Jusqu'au jour ou le roi fait d'elle sa messagère, décidant de l'envoyer dans les bois afin de faire face à la bête féroce décimant les campagnes. Plus d'une fois, Ayama vainc en lui racontant des histoires originales, que la bête semble apprécier. Elle finit par se transformer en bête, et à faire éclater les mensonges du roi qui régnaient dans le pays, à se faire apprécier du peuple. La morale : de la recherche de la beauté, le pays se tourne alors vers la recherche de courage. Une morale simple, relativement efficace, qui reste néanmoins une réflexion "bateau" sur la beauté extérieure ainsi que la beauté intérieure. En conservant cette sorte de clivage dichotomique, l'autrice nous offre une jolie nouvelle, enrobant malheureusement un fond maigre et décevant, ainsi qu'un manque d'originalité (je comparerais ce type de conte aux ouvrages de la Comtesse de Ségur, dont le fond et la forme étaient plus adéquats à ce type de réflexion).

  • Le Prince soldat est le quatrième conte. Je l'ai personnellement trouvé un brun confus, entre imagination et réalité, il est difficile d'en démêler le vrai du faux, le mythe de la réalité. Il évoque la question de la volonté (cette fameuse phrase du si tu veux tu peux, un peu trop développement personnel à mon goût) et je n'ai apprécié ni les personnages et leur caractère (manipulateur, rêveuse et niaise, insensible trahi), beaucoup trop stéréotypés à mon goût. L'histoire est étrangement menée, malgré le potentiel qui y règne ; c'est ici une déception.



Pour résumer, j'ai énormément apprécié retrouver les subtiles et différentes références à l'univers Grisha, et aux autres ouvrages de Leigh Bardugo : sans êtres omniprésents, ils sont dans les détails, telles que les histoires de sorcellerie, ou les citations de villages/villes que l'on connaît déjà (Ketterdam, par exemple, présente dans l'histoire du soldat, ainsi que dans Six of Crows). 

Je regrette les différences d'écriture et de contenu entre les différents contes, certains étant très bons, d'autres médiocres voir peu inspirés. C'est donc une lecture à la fois mitigée et agréable pour ma part, certains contes pouvant être relus en moments de blues, ou pour le plaisir, et parfaitement racontables aux enfants. 

L'esthétique est sympathique, très prégnante et particulière, une esthétique de conte classique et de fantasy, à la fois simple et élégante, sans fioritures. J'ai perçu une certaine sincérité dans la tournure des phrases et dans l'élocution, et c'est ce témoignage sous-jacent qui a le plus attiré mon attention ; en somme, des contes sensibles et touchants, malgré, pour certain, un manque d'inventivité. 

>> Vous aimerez aussi : Six of Crows, Leigh Bardugo / Les Petites filles Modèles, Comtesse de Ségur / Les Contes de Grimm / Les Contes de Perrault


 

 





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